Œuvres
NOISE
2018
Installation
Laine filée naturelle, teintures naturelles et chimiques, papier, colle, coton, bois peint, métal inoxydable
Crochet fait main, tricot fait main, macramé, tissage, tressage, technique du pompon, couture
210 caissons, 50 × 50 × 25 cm (chacun)
Avec la participation de 15 artisanes à la production :
Malika Benmoumen, Kaoutar Chrigui, Lamiae Melehi, Rhimou Grida, Souad Mhaouar, Latifa Mouchrif, Wassima Derrassi, Miriam Mossaouire, Mouhjati Benghanem, Naziha Fahem, Rahima Chentouf, Amina Mounir, Badia El Kharraz, Ghizlaine E-Zayani, Ihsane El Kharraz
Avec le soutien de Assilah Forum Foundation
→ Pour plus d’informations, se référer à l’œuvre Noise dans la rubrique “Œuvres”
Commissariat
Meriem Berrada
Janine Gaëlle Dieudji
Crédits Photos
Photos 1 et 3 : Jean Charles Triolet – Courtesy MACAAL
Photo 2 : Guy Thimel – Courtesy artiste
Photo 4 : Courtesy Assilah Forum Foundation
« Mina Al Hayat Ilaa Al Hayat »
Bruits est une installation de matières, de mots et de sons réalisée par Amina Agueznay, s’inscrivant à la suite d’un atelier de tissage conduit en 2016 en étroite collaboration avec des maâllmates d’Asilah, Shafiah Benaïssa et Mohamed Rachdi, ayant suscité le désir d’une restitution commune.
Inscrite dans une forme cubique, l’installation qui remplit frontalement les quatre parois de la pièce est composée de 210 caissons mesurant 50 × 50 × 25 cm, enserrant des compositions en laine naturelle blanche et d’autres teintées. Celles-ci hybrident des canevas traditionnels de tissage ou de broderie (randa, tarz, m’naoul…), à des formes issues de l’alphabet propre à Amina tels les Aouinates.
La poésie de Shafiah Benaïssa, également originaire d’Asilah, voudrait recréer la vibration poétique des gestes déployés par les artistes et les artisanes pendant toute la durée de la production, appuyées par une composition sonore de Mahmoud Haloui — alias DJ Mood — pour cette installation kaléidoscopique et multisensorielle.
Cet ensemble que l’artiste appelle « bibliothèque géante » de la matière marque, après le minéral, le papier et le métal (début des années 2000), une étape importante d’une longue et laborieuse exploration des gestes, manières et symboliques du textile que s’est appropriée l’artiste.
Arabesques végétales, entrelacs étoilés, pompons et pelotes assemblés, filets de pêcheur miniaturisés, cottes de mailles, chaînes géantes tricotées, sphères de pêche crochetées, dessinent par accumulations ou évidements des ondes, des vagues ou des lignes brisées qui voudraient rappeler l’ancrage marin de la ville, accentuées çà et là d’apparitions colorées : rouge carmin du grenadier, jaune or du safran, bleu de méthylène et vert typique d’Asilah… amenant subrepticement une sorte de paysage imaginaire de la ville vers l’intérieur de cet antre feutré.
Ainsi, cette bibliothèque ou cabinet de curiosités serait la part dévoilée d’une archéologie indicible où se superposent matière et non-matière, ombre et lumière, dans une trajectoire où le visible emmène peu à peu vers l’imperceptible.
Saturée de laine, la pièce carrée où est présentée l’installation est une sorte de membrane à l’intérieur de laquelle se retrouvera « piégé » le spectateur invité à y pénétrer avec recueillement, comme on entre à l’intérieur d’un sanctuaire.
Il n’est pas inutile de rappeler à ce stade de la genèse du projet, qu’il était envisagé d’installer l’œuvre sur une place publique, de sorte que les passants puissent tourner autour et l’imbiber ainsi de leur rumeur. Cette option a été abandonnée au profit d’un espace fermé, afin de mieux en écouter les bruits et les silences, entamer un voyage intérieur, revenir aux pulsations premières de l’être, étant aidé par l’organicité de cette laine vibrante, tactile et odorante.
(…) Au fil du temps, elle a elle-même adopté l’unité de mesure dite Draa x Draa, la coudée de 50 × 50 cm encore employée par une majorité de femmes tisserandes.
Le dialogue d’Amina avec les femmes s’édifie dans un premier temps autour de leurs savoir-faire, chacune apportant un échantillon de la technique maîtrisée dans l’unité qui lui revient, pour se voir ensuite impliquée dans le processus de création.
Si l’installation présentée par Amina s’articule autour de modules aux dimensions identiques, c’est bien pour rassembler ces bribes tissées par les artisanes, qui seront ensuite agencées sur un principe de sérialité cher à l’artiste et pouvant être entendu comme un acte sculpté dans l’espace-temps.
Dans ce dialogue, le langage verbal a sa part pour désigner gestes et manières, mais les véritables clés du langage, ce sont l’œil et la main* (Edmond Amran El Maleh), qui vont transformer la matière pour en faire un objet usuel, un objet de culte, ou une œuvre d’art (…).
— Extrait du texte de Ghitha Triki pour la Fondation du Forum d’Assilah et sa Cité des Arts, 2018
Notes :
Le titre de cet article est emprunté à Mme Kaoutar Chrigui, enseignante ayant participé à l’atelier en 2018.
*Edmond Amran El Maleh, L’Œil et la main, éd. La Pensée sauvage, 1993.
«Cette rage pour la beauté, cette manière d’en faire un pain plus nécessaire que le pain» (Christian Bobin)
Ce lieu en Vous où je suis, ce lieu délicat où en en moi poussent les boutons roses de notre printemps, sur tous ces plans, dans ces encadrés physiques, dès lors nettement articulées, dans ces dalles façonnées en vallées, crêtes et ondulations, se tresse et se triture l’essence des choses du monde, ses règles et ses jeux, son élan, le verbe d’un amour.
Warda. Houta. Baita. Mziouna. El-Koubba!
Dans ce lieu en moi où Vous et Moi ne sommes qu’un se tricotent et se tendent les bruissements de l’univers, ses nattes blanches enfilées de pierres, son pouls, le fracas de ses vagues bleues. Dans notre maison de feuilles et de fleurs vos doigts recèlent les ruelles enflammées de mon Âme, là où avec tous ceux qui ne parlent pas tu parles et avec tous ceux qui ne chantent pas, tu chantes.
Partout en ce ciel où s’avancent les battements de vos cœurs sont poussés tous mes inspires. Et mon refuge.
— Shafiah Benaissa (Assilah 06 juin 2018)