Œuvres
Curriculum Vitae
2020 – 2021
Installation
Laine naturelle filée non teintée, laine acrylique, coton, jersey synthétique, métal
peint

Tissage à plat, tissage nouage, broderie, couture

500 x 600 x 150 cm

Avec la collaboration des artisanes:
Khadija El Aabdi
Habiba El Masskini
Khaddouj Ibor, Yamna Hamcha
Zahra Taqlit
Khaddouj Ibor et Naïma Laanatza
Sfia Iminotras, Zahra Guinnou, Fatema Saidi
Zahra El Kaddouri, Khaddouj Ibor
Habiba El Masskini
Bahija El Hafidi, Fatna Abboul, Aicha Regadi
Khaddouj Ibor et Yamna Hamcha
Coopérative Atma
Bahija El Hafidi, Habiba Morad, Zahra Rami
El Hachmiya Douiri
Sfia Iminotras, Aicha Saidi, Nadia Saidi
Fatema Errachidi, Rachida Miftah, Fatima Achi, Yamna Hati, Najia Saidi 16.
Coopérative Tamalakt N’Tithrite
Zahra El Kaddouri, Khaddouj Ibor
Coopérative Taounza
Khaddouj Ibor, Naima Laanatza
Zahra El Kaddouri, Khaddouj Ibor

Paris, Centre national des arts plastiques, FNAC 2022-0109 (1 à 20)
Avec le soutien de l’Établissement public du Palais de la Porte Dorée – MNHI
Collection CNAP

→ Pour plus d’informations, se référer à l’œuvre Curriculum Vitae dans la rubrique “Œuvres”

 

Commissariat
Meriem Berrada
Isabelle Renard

 

Crédits photos
Photo 1 et 4 : Ph. Lebruman
Photo 2, 3 et 5 : Anne Volery

 

Originaire de Casablanca, Amina Agueznay pratique l’architecture aux Etats-Unis pendant neuf ans à partir de 1989. À son retour au Maroc, elle explore la diversité des savoir-faire séculaires, l’une des richesses culturelles du pays.
À la demande du ministère de l’Artisanat marocain, elle propose des ateliers de professionnalisation à des artisans, s’engageant ainsi dans la voie de la transmission. Progressivement, elle intègre leurs techniques dans sa propre approche artistique.
Dans cette œuvre, l’artiste s’intéresse aux signes et symboles utilisés dans les arts traditionnels. Elle invite des mâalmates, tisserandes de tapis issues de diverses régions du pays, à tisser à la manière d’un curriculum vitae, les signes qui font partie de leur langage professionnel. Amina Agueznay leur propose de tisser en noir sur bandes blanches les symboles qu’elles utilisent habituellement et dont elles connaissent la signification. Elle les invite également à tisser en blanc les signes qu’elles utilisent sans en connaitre le sens.
Tout en soulignant la porosité entre design, architecture et arts plastiques, l’artiste perpétue des traditions séculaires et questionne les risques de rupture dans le processus de transmission
— Meriem Berrada et Isabelle Renard

Les fragments de culture — langue, artisanat, littérature, rituels — se tamisent à travers la transmission intergénérationnelle, portés par nos descendants ou, parfois, perdus en chemin. Comment appréhender les degrés de perte et œuvrer à prévenir l’oubli ? Amina Agueznay se fait la chef d’orchestre de cette expérience anthropologique, en invitant des maîtres artisans à explorer leur propre répertoire d’images et à en garder trace pour la postérité. L’installation Curriculum vitae est le fruit de plusieurs années passées sur le terrain, à diriger des ateliers régionaux visant à traduire des savoir-faire ancestraux vers un langage contemporain. Elle a vite constaté que si les artisanes savent tisser un motif, elles ne peuvent pas toujours le nommer. Elles l’ont peut-être connu à un moment donné dans le passé, mais une fois perdu, il n’en subsiste que la forme : un langage visuel.

Dix-sept rouleaux tissés, de 30 cm de large et de 6 à 10 mètres de haut, sont réunis, suspendus et déroulés au sol. Ils composent une installation monumentale, une sorte de capture d’écran du présent, dans laquelle les tisserands interrogent leur mémoire à la recherche de ce qui subsiste.

Chaque rouleau — ou manuscrit — est l’œuvre d’une ou plusieurs artisanes issues de diverses régions du Maroc. Agueznay a recherché celles dont elle savait qu’elles possédaient les métiers de patrimoine propre à leur territoire. Elle les a invités à « cataloguer » les motifs présents dans leurs tapis — ces mêmes symboles transmis par les générations précédentes. Si le symbole ou le motif a un nom connu, il est tissé en noir sur fond naturel. Si ce nom a été oublié, il est tissé en blanc.

Au fil de ses recherches, Agueznay demandait souvent aux artisanes de lui présenter un échantillon de leur savoir-faire. « Montre-moi ton CV », leur disait-elle. Cet exercice de distillation du tissage traditionnel en un carré de tissu a mené à l’œuvre Draa X Draa, en 2017, un assemblage de pièces individuelles. L’échange entre l’artiste et les tisserandes se construit à travers les mots et les images : elles définissent ensemble l’échelle, choisissent la laine, composent un vocabulaire visuel. Parfois, les artisanes enrichissent leur répertoire avec humour, en introduisant de nouveaux motifs — un dinosaure, une théière. Yamna, une tisserande de Tiflet, a sollicité sa fille pour participer à l’expérience. Les œuvres de Yamna comportaient davantage de symboles noirs, celles de sa fille plus de symboles blancs. D’une génération à l’autre, les noms s’estompent, et seule l’image demeure.

Ces répertoires visuels forment le cœur de Curriculum vitae, qui s’apparente à un véritable catalogue patrimonial : une archive vivante des images nommées ou anonymes, issues des zones calmes et reculées du Maroc en 2021. Le processus de transmission se poursuit, guidé par la baguette d’Amina Agueznay, qui lit ces symboles noirs et blancs comme une partition musicale, leur insufflant forme et son jusqu’à leur apothéose dans le regard du spectateur. Ce dernier est invité à parcourir l’installation pour découvrir les signatures des artisanes, apposées au dos de chaque panneau. En signant leur œuvre, elles transcendent l’usage utilitaire de leur pratique pour en faire autre chose : une présence bienveillante, quasi anthropomorphique, dans l’espace muséal. Par leurs gestes tissés, elles nous transmettent un savoir singulier, qu’elles seules détiennent. Le spectateur reçoit ce don, et le cycle continue.

Le noir, alors, est ce qui se dit : il porte un nom, il fait son.
Le blanc est silence, absence, oubli.
Quand il n’y a plus de nom, il n’y a plus de son.
— Texte original en anglais de Kristi Ann Jones. Traduction en français réalisée avec validation de l’auteur, pour le site de l’artiste.