Œuvres
Casablanca Green
2015
Installation – Performance
51,200 coquilles de moules, laine acrylique, coton
Perçage, crochet, couture
1000 x 1000 cm

Casablanca Green
2015
Vidéo monocanal, boucle, 2 min 54 s
Montage : Naya Kuu

 

Commissariat
Alya Sebti

 

Crédits photos
Photo 1,2,3,6 et 7 : Danny Hanneuse – Courtesy Maison Folie 
Photo 4 : Zineb Andress Arraki
Photo 5 : Amina Agueznay 

 

L’installation collaborative Casablanca Green a émergé en réponse à une exploration, à une invitation, à un lieu géographique, et au thème de l’exposition Casablanca, Énergie Noire. Invitée à produire une œuvre dans le cadre de Mons 2015, Amina Agueznay a choisi de s’éloigner des récits d’urbanité tentaculaire et de chaos pour imaginer un futur hypothétique qui basculerait du noir vers le vert.

Le point de départ est l’espace lui-même — ou plus précisément, le sol de cet espace : un hangar multifonctionnel à plan ouvert, destiné aux performances et aux expositions. La fonction de ce lieu impose une réflexion sur l’œuvre en termes de performance, et sur la nature de la matière à même de susciter une expérience interactive. Comme à son habitude, Agueznay conçoit la matière de ses installations. Pour Casablanca Green, elle s’est inspirée de Skin (2011), une œuvre antérieure réalisée dans une ville de la côte atlantique marocaine, où elle découvrit des monceaux de coquilles de moules rejetées sur la plage. Quel meilleur médium pour établir un parallèle entre le Maroc et la Belgique que la modeste moule, commune aux deux pays, autrefois surnommée « la viande du pauvre », et ici érigée en matériau contemporain ?

Humilité du médium, noblesse de l’intention. Amina Agueznay sublime l’objet en mettant en avant l’acte collaboratif. La beauté intrinsèque et exquise de l’œuvre passe au second plan, derrière le geste partagé de sa création. Forte de sa formation en architecture et en design, ainsi que de ses recherches approfondies et collaborations avec des artisan·e·s du patrimoine, Agueznay a collecté plus de cinquante mille coquilles, qu’elle a classées par taille, à la manière d’un mosaïste planifiant son zellij, avant de les tisser en une tapisserie fragile. En collaboration avec une équipe de seize artisan·e·s, elle mit au point une méthode d’assemblage consistant à percer deux trous dans chaque coquille, puis à les relier par groupes de huit formant des motifs octogonaux, à l’aide de fils verts multicolores évoquant des algues. Le motif se répète 6 400 fois sur des bandes individuelles de deux mètres par dix.

L’artisanat est complexe, les dimensions monumentales, la géométrie rigoureuse, les références multiples. Vu d’en haut, l’effet est architectural, archétypal, organique — comme une mosaïque ancienne surgissant de siècles d’oubli. Nacre en dessous, coque noire et bernacles au-dessus. Un tapis comme un rivage. Une matière brute traitée comme si elle était faite de fils d’or ou de pierres précieuses. L’espace est métamorphosé, la mer y affleure, tout comme les esprits de celles et ceux qui l’ont engendrée.

S’il y a naissance, il y a fin — des performances en miroir qui définissent la vie de l’œuvre. Imaginée, façonnée et construite par de nombreuses mains, la pièce est ensuite déposée aux pieds du public.

La dernière phase de son existence à Mons constitue une nouvelle collaboration : une performance au cours de laquelle les spectateurs pénètrent dans l’œuvre, écrasant le tapis sous leurs pas. Amplifiés par des micros placés au sol, les coquillages délicats explosent dans un acte de délivrance, aussi violent que tout autre phénomène naturel. Le moment partagé est extatique : cette destruction apparente donne lieu à autre chose — elle révèle le vert, l’avenir, le geste de la couleur jaillissant des fragments brisés.

Au lendemain de l’explosion, le silence revient dans l’espace. Casablanca Green est éphémère — une vague retournant à l’océan, une lueur verte surgissant des cendres.
—  Texte original en anglais de Kristi Ann Jones. Traduction française réalisée avec validation de l’auteur.