Œuvres
Skin
2011
Installation 
Filets de pêche recyclés, viscose (sabra), nylon, coton, sisal, acier inoxydable, sequins en plastique (mozone), perles en verre et en plastique, papier
Crochet, tricot, tissage, macramé, tressage, technique-pompons, broderie, randa perlage, couture
300 x 680 x 20 cm

Avec la participation de 25 maîtresses et apprenties artisanes à la production: Khadija Bindou, Malika Benmoumen, Wissal Massoudi, Khadija Rihani, Yezza El Kandoussi, Hassna Makdad, Aicha El Kabli, Atika Ouahrani, Fadna El Hafydy, Selwa Amal, Fatima Bourich, Chorouk El Hamdi, Lekbira El Ouardi, Nezha Refki, Sara Hounaïfi, Fatima Nemli, Hasnaa El Moslih, Malika Rguiti, Saadia Blali, Mina Ejjebbouji, Rachida Lamrahi, Zahra Rguiti, Samira El Harchani, Charifa Danoune, Fatima Yatribi

 

Commissariat
Rim Laabi

 

Crédits photos
Photos 1, 2, 3, 4, 5, 7, 9 et 10 : Khalil Nemmaoui – Courtesy CulturesInterface
Photo 6 : Michel Teuler – Courtesy CulturesInterface
Photo 8 : Amina Agueznay – Courtesy artiste

 

La peau raconte une histoire qui continue de vivre, traversant de multiples incarnations à mesure qu’elle se déplace d’un lieu à l’autre. L’origine de l’œuvre se situe dans la ville balnéaire de Bouznika, sur la côte atlantique du Maroc. Un endroit où les pêcheurs déploient leurs filets avant l’aube. En 2011, alors que la commissaire Nawal Slaoui préparait une exposition pour l’Alliance Française de New York, elle fit appel à l’architecte et chercheuse en pratiques artisanales Amina Agueznay pour concevoir une œuvre socialement engagée impliquant cette communauté, coproduite par CulturesInterface et l’Association Madar.

Imaginant une œuvre collaborative ancrée dans les traditions locales et utilisant des matériaux du cru, Agueznay mena un atelier avec un groupe de maîtres artisanes, chacune apportant son propre répertoire de références et de techniques d’aiguille. Elle utilisa un matériau emblématique du lieu : les filets de pêche. Dans le cadre de l’atelier, ces filets recyclés furent soigneusement lavés, filés, puis réinventés sous les doigts experts de ses complices, pour devenir des éléments individuels. L’œuvre intègre des fils de viscose et de nylon, du fil de coton, de la ficelle de sisal, du fil d’acier inoxydable, des sequins en plastique, des perles en verre et en plastique, ainsi que du papier, travaillés selon diverses techniques : crochet, tricot, tissage, macramé, tressage, fabrication de cordes et de pompons, broderie, randa (broderie traditionnelle marocaine), perlage, couture. Le concept a évolué pour devenir Skin, une structure organique hybride, à la fois textile et architecturale, retraçant par le toucher l’histoire des nombreuses mains qui lui ont donné vie.

L’artiste conçoit chacune de ses installations en fonction de l’espace d’exposition envisagé. Skin a été créée pour le site de New York, et a depuis voyagé à Casablanca, Paris, Rabat et Amman, se transformant à chaque nouvelle présentation. À l’IMA à Paris, elle est divisée en trois panneaux suspendus et alignés, permettant aux visiteurs de traverser une « porte » centrale. Cette ouverture représente, dans sa dimension symbolique, un passage initiatique : le spectateur pénètre dans l’œuvre, franchissant la membrane dans un rite de passage.

Dans sa version installée de manière permanente au Musée Bank Al-Maghrib à Rabat, Skin s’adapte à l’espace en se repliant sur elle-même pour former une structure à trois faces, réinventant ainsi l’expérience du visiteur. Présentée au MMVI (Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain) de Rabat, l’œuvre est surélevée sur une estrade et exposée de manière frontale, telle une pièce patrimoniale. Ici, elle prend des allures d’antiquité, à l’image de la façade de Pétra taillée à même la roche. Le spectateur peut y voir un bas-relief, un paysage marin transposé en textile, ou encore une construction sociale, un instantané d’une communauté. À chaque nouvelle exposition, l’œuvre est traduite dans un nouvel environnement, amorçant une nouvelle phase d’existence.

Skin est le plus grand organe du corps humain (échelle monumentale), le vecteur du toucher (matérialité), commun à tous les êtres humains (collectif), et surtout, capable de se régénérer. Skin porte en elle de multiples strates d’interprétation. C’est une œuvre d’artisanat à laquelle vingt-trois femmes ont apporté leur propre lecture. Amina Agueznay donne voix aux langues qu’elles parlent par le geste, dans une mosaïque foisonnante d’interprétations. À mesure que le spectateur s’approche de l’œuvre, la composition de l’artiste s’ouvre comme un livre, révélant ces récits singuliers.

Skin est une œuvre fondatrice dans l’évolution artistique d’Amina Agueznay : il s’agit de son premier projet collectif à l’échelle monumentale. Œuvre de référence, elle y conjugue narration, formation en architecture, savoir-faire en joaillerie et recherches approfondies en pratiques artisanales, transformant les techniques d’aiguille en compositions élaborées, préfigurant des pièces telles que Ankabout, Noise, Casablanca Green et Wainscot.
—  Texte original en anglais de Kristi Ann Jones. Traduction française réalisée avec validation de l’auteur.